L'étonnement

L’étonnement

De quel point partir pour parler de l’étonnement.

Une définition est une proposition de compréhension du sens d’un mot. En soi, une définition est un condensé de sens qui mérite d’être questionné et mise en perspective avec des éléments de réalité. Elle n’a pas de valeur intangible.

Je vais partir de la définition de wikipédia qui a le mérite de vouloir embrasser l’entièreté de ce qui définit le mot étonnement.

« l’étonnement est une émotion causée par un événement ou une réalité qui conduit à se poser des questions du fait de son caractère inhabituel, inattendu, étrange, difficile à expliquer … ».

Ah bon ? une émotion ? Quel type d’émotion ? Et quel type d’événement ou réalité peut conduire à se poser des questions ?

Le mystère s’épaissit plus qu’il ne se dissipe.

L’émotion est un état affectif qui provoque plaisir ou douleur. Ça se passe dans le corps et c’est en lien avec un événement ou une réalité. Je pourrai cependant être étonnée d’entendre mon ventre faire des borborygmes et me questionner sur ce qui provoque cela. M’intéresser au fonctionnement de mon corps, à ce qu’il y a à l’intérieur. Il ne s’agit donc pas d’un événement ou d’une réalité qui me soient forcément extérieurs. La palette est multiple qui oscille entre plaisir et douleur. Est-ce l’intensité qui pousse au questionnement ?  Quel type d’intensité ? Stupeur, sidération, émerveillement…  Le questionnement n’est pas concomitant à l’étonnement. Il vient dans l’après-coup. Sous certaines conditions, dans certaines circonstances.

ça pose en contre point la question de savoir pourquoi nous ne viendrions pas questionner ce qui nous apparaît évident. Le hic est peut-être à cet endroit. Pourquoi certains s’étonnent de l’évidence et la questionne ?

Sur quel corpus prend appui tel ou tel mot dans un contexte donné. L’étonnement est produit par une forme d’incompréhension et un désir d’accéder au sens. Rien ne me semble jamais évident. Je me donne souvent l’impression de découvrir pour la première fois. Sans doute est-il davantage question dans cette idée de découverte, de la prise de la subjectivité de l’autre dans son discours. Y-a-t-il des éléments prédisposant à l’étonnement ?

« … L’étonnement suscité par le réel serait le sentiment déclencheur de l’attitude philosophique… ».

Cela me renvoie à la nécessité qu’il y ait un léger écart entre la question et la réponse. C’est dans cet écart que je peux me voir produire le questionnement. Ma subjectivité est alors impliquée. Je me vois questionner. L’étonnement apparaît comme la conséquence d’une posture préalable.

L’enfant s’étonne, questionne et adresse son questionnement à un autre qu’il affuble de la qualité de sachant. Ce que l’adulte dit, a valeur de vérité et devient point de certitude. « Il vient d’où le vent ? », « Comment on fait des bébés ? », « On va où quand on est mort ? »… Comment continuer à soutenir et permettre le développement de cette qualité ? Parce que s’étonner me semble être une qualité lorsque cela n’est pas clôturé par la sanction d’une pensée jugeante, mais par une ignorance qui s’assume et est mue par le désir également de découvrir, comprendre.

Qu’est-ce que le réel ? Y accédons-nous à travers le filtre de nos représentations ? N’est-il pas soumis à ce qui s’est construit de notre rapport au monde ? Quels éléments de lecture préalables avons-nous en notre possession pour lire le réel ? Peut-être même sommes-nous aveugles à certains aspects du réel ? Cela me semble ramener à un questionnement crucial. Projetons-nous sur le réel nos propres constructions pour mettre en sens ? Ce qui viendrait annuler l’écart, et donc l’étonnement. Pour nous repérer et nous adapter ? Comment y avons-nous accès ? Je m’étonne de cette phrase « L’étonnement suscité par le réel… ». En soi, cela ne prend pas sens, à moins d’avoir les bonnes coordonnées pour savoir de quoi on parle. Le réel est-il la même chose que la réalité ? Et pourquoi l’étonnement serait suscité par le réel ? Cela supposerait-il qu’il y a écart entre nos représentations et ce que nous observons de la réalité ? Qu’est-ce qui nous amène à questionner cela ? Et si nous le questionnons, nous optons pour quelles grilles de lecture ? Des grilles qui ouvrent ou ferment ? Pourquoi serais-je étonnée de ce réel ? Je pense à ce qui se déroule simplement. Une pomme qui tombe. Pourquoi tombe-t-elle plutôt qu’elle ne s’envole ? Newton est passé par là. Pourquoi s’en est-il étonné ? Pourquoi s’est-il étonné de quelque chose que personne n’est venu avant lui questionner ?

S’étonner là où personne ne semble s’étonner.

C’est une histoire d’écart. Est-ce qu’il y a plusieurs formes d’étonnement ? Est-ce qu’au fil du temps il y a eu une émancipation des esprits ? Est-ce qu’il y a un lien entre l’étonnement et l’émancipation ?  Est-ce que les humains du passé étaient plus étonnés que ceux d’aujourd’hui ? Est-ce ce qui fait l’objet d’étonnement qui a changé ou un accès à notre subjectivité, ou les deux à la fois et même plus ? Notre rapport à la réalité a évolué au fil des découvertes. Est-ce qu’une meilleure connaissance de la réalité a modifié notre rapport à nous-même, notre rapport au monde, à l’univers ? Nous pouvons ne pas être étonné de savoir qu’il y a des glaciers ou des aurores boréales. Mais nous pouvons en être étonné lorsque nous y sommes confrontés. La réalité collerait donc à ma représentation ? L’étonnement naît-il alors de la confrontation à la réalité, malgré que l’on sache que le phénomène existe. Sidération ? Emerveillement ? Est-il alors encore question d’étonnement ? On ne voit pas les phénomènes quantiques. On peut s’étonner qu’un chat puisse être à la fois mort et vivant.

Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à vouloir savoir, vouloir comprendre ? Quel moteur ? Le constat d’un manque ou le désir ? Pourquoi référer le désir à la question du manque ? Je peux être étonnée que certains que l’on pourrait qualifier d’intellectuels, ne s’étonnent pas de l’ordre du monde, malgré des incohérences flagrantes entre les récits collectifs et la réalité. Seraient-il alors du côté de ceux qui soutiennent contre vents et marées ce qui a été institué sans questionner le ou les principes ordonnateurs ? Oui, je m’étonne du fait que les fictions ne soient pas questionnées dans leurs fondements, et qu’un grand nombre y adhère. Ces fictions qui révèlent leurs incohérences, quand on prend le temps de s’y arrêter.

Pour questionner, faut-il un peu de curiosité. L’étonnement débouche-t-il sur la curiosité ? Ou la curiosité est-elle une des composantes qui mène à l’étonnement ? Et si la curiosité est de mise, d’où nous vient cette disposition ?

« …L’étonnement se distingue de la surprise dans la mesure où il suppose une conscience humaine. La cause de l’étonnement est la conscience alors que la surprise est le résultat d’un événement extérieur à la pensée… »

La cause de l’étonnement vient de la conscience. J’ai constaté dernièrement en balade, lorsqu’il y a eu échange de laisse avec mon chien, qu’il s’est retourné et a observé un temps celui qui était au bout de la laisse, semblant surpris que ce ne soit plus moi. Puis il a poursuivi ses reniflades. Surpris mais pas étonné si je m’en réfère à la définition. Et moi, étonnée de le voir ainsi surpris. Il a visiblement conscience du fait qu’initialement c’était moi qui était au bout de la laisse. Il sait donc qu’il est tenu en laisse ? Pourtant il fait fi, lors de nos balades, de ce lien en forçant le pas, en voulant me mener là où son odorat semble l’attirer. Je n’ai pas accès aux modes de représentation de mon chien.

La conscience humaine. Mais qu’est-ce ? Il y a différents niveaux de conscience paraît-il ? Mais qu’est-ce que la conscience ? Il y a ceux aux vues rétrécies, et ceux à la vue élargie, balayant large du regard. Mais faut-il avoir l’œil perçant pour voir là où peu voit ? On finit par ne plus voir. Le phénomène d’habituation semble polluer notre rapport à la réalité. Nous finissons par coller nos représentations à la réalité. Plus de surprise, à peine si l’étonnement pointe son nez. L’étonnement comme un aiguillon rappelant à ceux qui ne sont plus étonnés qu’il y a de quoi être étonné ?

« L’étonnement suscité par le réel serait le sentiment déclencheur de l’attitude philosophique, notamment d’après Socrate (on parle alors souvent d’étonnement socratique), qui utilise pour désigner cette émotion le mot θαυμάζειν (thaumazein, qui signifie aussi émerveillement). »

Je ne connaissais pas l’expression « attitude philosophique ». L’attitude philosophique renverrait à une manière d’être ? Une disposition d’esprit ? Cela me renvoie à un cours de Deleuze où il évoque l’attitude de Socrate et de quelques autres qui jouent aux sots pour mieux débusquer les paradoxes.

Un autre aspect de l’étonnement, l’émerveillement.

Est-ce que l’émerveillement est un état proche de l’enivrement ?

Hubert Reeves nous invite à nous enivrer plutôt que de sombrer dans le non-sens radical de l’existence. Faut-il s’en étonner ? Pourquoi cette invitation ? D’autres invitent à lutter. La lutte des classes. Parce qu’il y a de quoi s’étonner que nous nous soyons éloignés à ce point de la vie. Quel pourrait être le sens d’une vie ? Cela ne tient qu’aux fictions qui nous sont servies. S’enivrer sans autre sens que celui des sens, pourrait apparaître en soi satisfaisant. Tout comme la curiosité peut n’avoir d’autre intérêt que le plaisir parfois enivrant des chemins parcourus. Certains s’étonnent qu’on ne puisse donner davantage de sens à la vie ? Mais que proposent-ils ? Leur étonnement semble inquiet. Comment pouvons-nous vivre sans croire en Dieu par exemple ? Comment cela est-il possible ? Le glaive du jugement tombe de façon impitoyable. Plutôt le mensonge que l’angoisse. L’étonnement est clôturé et n’ouvre pas sur une volonté de comprendre. Plutôt mourir que questionner à l’endroit de nos croyances quelles qu’elles soient. Ou sinon s’aventurer timidement dans des contrées inconnues. A la mesure de ce qu’on peut supporter. L’étonnement cède à l’angoisse. Cela me renvoie à ce questionnement nietzschéen sur ce que nous sommes à même de pouvoir supporter comme dose de liberté. Pas facile d’être un libre esprit, d’être en mesure de questionner ce sur quoi nous avons bâti le sens de notre existence. Parce que nous prenons un risque. Faut-il être suffisamment libre en pensée pour être en capacité de s’étonner ? On pourrait à contrario se demander pourquoi certains ne s’étonnent pas ou plus.

Avec l’étonnement, un espace de liens multiples se decouvre.

Auteur

isabellegenty974@gmail.com

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Le fragmentaire

19 août 2020